SEANCE REMIX ! SESSION 3 DU 11 MAI 2022

Après la session précédente destinée à “ouvrir nos chakra” sur le contexte des laboratoires d’innovation tout en partageant nos trajectoires respectives et en créant de l’interconnaissance, l’objectif était de nous recentrer sur ce que nous savons d’eux, sur leurs problèmes vécus, sur la façon de théoriser les changements à opérer, et d’en tirer des pistes d’action à tester concrètement dans les prochaines mois.

Remixer nos connaissances sur les labos

Que savons-nous déjà sur ce qui fait l’essence des laboratoires d’innovation, et comment en tirer une grille d’analyse commune ? En ce début de matinée, nous sommes partis de grilles existantes issues de 3 contextes différents (voir pages 6 à 12 des slides ci-dessous) : les enseignements acquis par la 27e Région dans le cadre du programme La Transfo, le kit produit par Lindsay Cole dans le cadre de sa thèse sur les laboratoires d’innovation publique, et les travaux de recherche de Mathias Béjean portant sur les Living Labs. Au cours des échanges nous avons pris en compte d’autres grilles, telle que conçue par le collectif co-design it, ou encore les productions issues d’un sprint animé par Mickaël Poiroux.

En analysant ces grilles, nous avons été amenés à questionner les items tout comme les représentations adoptées : par exemple, quelles nouvelles représentations permettraient de mieux mettre en avant la vision que porte le labo, les enjeux de transformation écologique et sociale, les enjeux inter-organisations, les interdépendances entre les items, le delta entre le laboratoire et la maturité de l’organisation dans laquelle il agit, d’où il tire sa marge de manoeuvre, ou encore les trajectoires du laboratoire, avec des étapes de go/no go ?

Les participants ont également émis plusieurs remarques sur ces différentes grilles :

  • Toutes ces grilles couvrent plutôt bien les réalités vécues par les labos, permettent de rendre visible les impensés et peuvent servir à mieux négocier avec les porteurs de commande voire à utiliser comme grille de sortie des projets ;
  • Les grilles de la 27e Région, et surtout celles de co-design-it permettent de couvrir les fonctions de base d’un labo, tandis que le kit de Lindsay Cole est plus élaboré, avec des items plus précis, plus ambitieux, plus subversif, et destiné à des projets plus avancés ;
  • Pour certains, ces grilles pourraient être plus facilement appliquées à l’analyse d’une demande que d’un labo dans son ensemble ;
  • Certains trouvent étrange de mettre tous ces items si différents au même niveau, par exemple peut-on mettre numérique et gouvernance ensemble ? Distinguer ce qui relève d’une fiche d’identité du labo, et ce qui serait une stratégie du changement ? D’autres pensent au contraire que c’est justement l’intérêt si l’on veut couvrir la diversité des situations (par exemple pour les services centraux de l’Etat, la question du numérique vu comme une finalité et non comme un moyen est l’un des présupposés les plus difficiles à questionner)
  • Ce qui manque, c’est la représentation des tensions, par exemple entre le ROI vu par l’administration et le bien-être des personnes, ou entre les différentes représentations possibles du concept d’efficacité (même si pour Mathias ces tensions sont visibles dans les items de Lindsay Cole)
  • Il manque une représentation sous forme de trajectoire, par exemple comme l’a tenté la 27e Région ou comme l’a réalisé le MindLab ; Mais comment articuler niveau de maturité et prise de risque ?

Est-ce que toutes ces représentations ne sont pas trop normées (radars, axes, curseurs, etc) ? Pour Jacky Foucher, le problème est de confondre  les interfaces, les points de contacts et la vision/représentation du monde, autrement dit les moyens et les fins. Et si la représentation du labo faisait plus recours à la créativité et à la sensibilité ? Pourrait-on produire des “autoportraits” de labo convoquant librement des images évocatrices comme par exemple celle d’un virus, d’une enzyme, de protéines et de leurs interactions ?

Un travail de codéveloppement pour identifier des changements à opérer à partir des problèmes vécus par les labs

Durant l’après-midi, nous sommes repartis de ces grilles pour les confronter à des problèmes vécus par quatre des laboratoires d’innovation participants. Pour ce faire, nous avons d’abord sélectionné un problème pour chacun des laboratoires, puis nous avons utilisé les items abordés par les grilles présentées le matin pour les analyser. Dans un second temps, nous avons examiné quelles hypothèses de changement pouvaient s’appliquer pour chacun des problèmes, et nous avons identifié des activités que pourraient mener chaque laboratoire à titre de test dans les prochaines semaines pour tenter de résoudre son problème.

Voici le type de problèmes concrets sur lesquels nous avons travaillé : Comment assurer la cohérence du labo et le respect de son héritage lors du renouvellement de sa direction provoquant un choc des cultures ? Comment assurer la cohérence du positionnement du lab et la dynamique collective des équipes dans un contexte qui bouscule la culture et les modes de faire, comment faire en sorte que cette déstabilisation soit créative et l’occasion d’innover tout en prenant en compte l’héritage du lab ? Ou encore, comment, dans un laboratoire dont la gouvernance est distribuée et ouverte, créer de la continuité et maintenir un très haut niveau d’ambition et de partage du pouvoir lorsque le turnover est fort chez les partenaires ?

Pour chacun de ces problèmes, chaque groupe a imaginé des activités précises à tester -par exemple, associer la direction à la réalisation d’une représentation visuelle de la trajectoire passée du laboratoire, tester un nouveau récit grâce un kit de communication, etc. Rendez-vous avant et après l’été pour faire le point sur ces différents tests ?

De nombreuses idées de débouchés pour la suite

Au-delà des pistes produites par les groupes, le travail réalisé durant cette journée rend tentante l’idée  de construire des formations “de la théorie à la l’action” pour les responsables de laboratoires d’innovation, en s’appuyant sur une nouvelle grille “remixée” à partir de celles que nous connaissons, en développant une activité de co-développement entre pairs, mais aussi en s’inspirant des méthodologies utilisées dans la communauté des livings labs (cf encadré ci-dessous), notamment de la codification de montée en maturité dite de “concept maturity levels”.

Les living labs, une source d’inspiration pour les labos d’innovation publique ?

Mathias Béjean nous rappelle que le concept de Living Labs est né aux Etats-Unis dans les années 90 à l’initiative d’enseignants en urbanisme (notamment au MIT), puis a été repris dans le monde et en Europe (cf sur l’histoire et les caractéristiques des Living Labs)

Le premier intérêt des LL pour nous, c’est que leurs thématiques sont très proches de celles des laboratoires d’innovation publiques, mais avec quelques spécificités notables : 

leurs particularités portent notamment sur la vision (“l’important c’est d’être au plus près de la  “vie réelle”, mettre “les usagers au centre”, ce qui peut néanmoins créer de la résistance et de la méfiance chez les patients-usagers, dixit Marie Coirié ), l’activité résolument expérimentale (Les LL sont des plateformes et des réseaux conçus à 100% pour expérimenter, par exemple, grâce à une convention avec l’Office d’Hygiène Sociale de Lorraine,  le LL “Innov Autonomie” a accès à un réseau de près de 50 EHPAD dans le Grand Est pour mener des expérimentations participatives en vie réelle), la question de l’écosystème est en train de se structurer et ils sont très maillés au niveau de leur territoire, enfin, la gouvernance doit inclure les usagers finaux (en veillant à éviter qu’ils deviennent trop experts).

L’autre intérêt, c’est que les LL réfléchissent de plus en plus en termes de maturité, par exemple sur les besoins, la technologie, l’organisation… Généralement, les LL naissent d’abord de l’identification d’une offre de valeur singulière par rapport à l’existant, d’un ou plusieurs projets fondateurs, puis seulement ils définissent leur offre de service et leur organisation (contrairement à beaucoup de labos d’innovation publique qui instituent d’abord, souvent trop tôt). De plus, la communauté très active des LL en santé (via le Forum LLSA – https://www.forumllsa.org) est en train de conduire un travail collaboratif pour guider les écosystèmes et accompagner l’innovation de bout en bout en intégrant mieux les patients. Depuis 2021, ce travail est soutenu par l’ANR dans le cadre du projet DynSanté (ANR-20-CE26-0015). Il a permis d’établir 9 niveaux de maturité (dits “CML santé”), allant de la formulation des besoins initiaux jusqu’au suivi en vie réelle d’une solution, en passant par la conception de protocoles d’expérimentation variés et d’essais cliniques. Chacun de ces niveaux de maturité appelle des outils, des compétences et des ressources différentes. Il peut conduire à une réorganisation sensible au niveau des écosystèmes (https://www.cairn.info/revue-innovations-2021-2-page-81.htm). 

Depuis 2020, une démarche similaire est même déclinée par la Chaire innovation publique avec le Ministère de l’Education nationale (https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03626750/).