Chaque jour, en France et partout dans le monde, des administrations et des collectivités locales annoncent la création de leur propre laboratoire d’innovation publique. Mais malgré la promesse de transformation portée par leurs créateurs et alors que leur besoin de réinvention n’a jamais été aussi fort, le décalage entre les ambitions et la réalité est encore grand.
EN QUOI CONSISTE LE PROGRAMME « LES LABONAUTES » ?
Le programme Les Labonautes, initié par la 27e Région en partenariat avec le TiLab et la Direction Interministérielle à la Transformation Publique, propose d’explorer à quoi pourrait ressembler l’avenir de ces labos s’ils portaient des ambitions plus fortes -dont la transition écologique, la justice sociale ou la résilience des territoires-, s’ils étaient plus coopératifs, par exemple pour des services publics « sans coutures », et s’ils adoptaient des stratégies et des méthodes de transformation plus rigoureuses.
Il s’inspire d’une démarche initiée en 2017 par Lindsay Cole, animatrice du laboratoire d’innovation de la ville de Vancouver (Canada) et auteure d’une thèse sur l’avenir des laboratoires d’innovation publique, que nous avons étudiée et relayée sur notre blog.
Entre son lancement en janvier 2022 et jusqu’à son terme autour du printemps 2023, ce programme s’organisera autour de temps de travail collectifs et individuels, en présentiel et à distance, et visera à produire des outils pour aider les laboratoires d’innovation à se réinventer, à mieux se structurer en termes méthodologiques.
Pour conduire ce programme, nous avons rassemblé plusieurs cercles de participants (voir le trombinoscope complet ici) :
- les représentants de laboratoires d’innovation publique déjà bien institués : le TiLab à Rennes représenté par Benoît Vallauri, le Lab AH représenté par Marie Coirié, la Fabrique à projets du ministère de la transition représenté par Léa Boissonade et Elodie Salles, La Base représentée par Julie Chabaud à Bordeaux, le laboratoire de la Région Sud représenté par Natacha Crimier et Anaïs Triolaire à Marseille ;
- des intervenants extérieurs qui sont amenés à conseiller les collectivités qui portent ces laboratoires : Jacky Foucher, designer à Nantes, Aura Hernandez psychosociologue à l’agence Nuunat à Lyon, Emmanuel Bodinier à Grenoble, Mickaël Poiroux à Nantes…), des experts ponctuels (Cécile Robert, politiste à Sciences Po Lyon, Lindsay Cole, du laboratoire d’innovation de Vancouver)
- L’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, représentée par Elsa Boubert, qui souhaite réfléchir aux modalités de transfert des enseignements de ce programme en termes de formation des agents publics
Nous nous sommes rapprochés de Mathias Béjean, maître de conférence à l’UPEC, qui jouera le rôle de direction scientifique et d’évaluation du programme, et de l’agence de design de service Itinéraire Bis pour construire les outils de travail et pour la production des livrables.
Un groupe “miroir” composé des représentants d’autres laboratoires d’innovation publique volontaires sera réuni au Printemps, pour les faire réagir aux premiers enseignements. Il comprendra notamment le laboratoire d’innovation du Val d’Oise, de Loire-Atlantique, du laboratoire d’innovation de la ville de Mulhouse, de la Fabrique de l’Hospitalité à Strasbourg, etc.
Pour nous contacter : leslabonautes [at] la27eregion.fr
UNE PETITE HISTOIRE DES LABORATOIRES D’INNOVATION PUBLIQUE
Mais comment des « laboratoires d’innovation » ont-ils fini par émerger au sein d’administrations et de collectivités locales ? Pour le comprendre, il faut repartir de la longue tradition des méthodes expérimentales dans l’industrie et les technologies. Cette culture s’est ensuite dévelopée dans de nombreux domaines, y compris l’industrie et des services. Mais c’est à partir des années 2000 qu’un nombre croissant de gouvernements et d’acteurs publics ont commencé à s’y convertir, notamment à travers les méthodes très controversées de “tests randomisés” (également appelés « expérimentations sociales« ), puis progressivement avec l’arrivée des living labs promus par la Finlande durant sa présidence de l’Union européenne. L’appellation “laboratoire d’innovation publique” s’est répandue et une première vague a émergé dans les années 2000 avec pour étendard le MindLab, créé par le gouvernement danois en 2002 (fermé en 2019). Depuis, le mouvement s’est amplifié et a gagné tous les échelons de l’action publique, depuis la plus petite collectivité locale jusqu’aux institutions internationales.
Difficile de donner une définition précise de ce que recouvre l’idée de laboratoire d’innovation publique. Dans Chantiers ouverts au public, la sociologue Pauline Scherer parle de « tiers-lieux, de cadres, d’espaces de liberté physiques ou virtuels dans lesquels il est possible d’essayer et de se tromper, des zones franches, terrains d’expérimentations et de recherche-action ».
Il est impossible de donner un chiffre officiel, mon on évalue à une soixantaine le nombre de de laboratoires d’innovation publique en France, parmi lesquels certains ont entre 4, 5 et 7 années d’existence : des Régions (Occitanie, Sud, Grand Est…), des Départements (Val d’Oise, Loire-Atlantique..), des villes et intercommunalités (Mulhouse, Metz…), des établissements hospitaliers (Fabrique de l’Hospitalité à Strasbourg, Lab AH à Paris), des ministères (Fabrique à projets au ministère de la transition), des services déconcentrés (les 12 laboratoires créés suite aux appels à projets de la DITP…)
Dans l’imaginaire des pionniers, les « labs » représentent un nouveau récit de l’action publique, un nouvel état d’esprit qui renvoie au concept d’essai-erreur et au pragmatisme incarné dès 1927 par John Dewey qui décrivait l’Etat comme « une expérience permanente », dans son livre Le public et ses problèmes. Mais pour beaucoup de praticiens et de chercheurs, les laboratoires d’innovation publique n’ont pour l’instant pas tenu leur promesse de transformation, voire même d’expérimentation. Beaucoup sont fragiles et risquent d’être marginalisés voire de disparaitre au moindre changement d’équipe ou de nouvelle élection.
C’est pourquoi le programme Les Labonautes, à partir d’une meilleure compréhension des difficultés et des limites rencontrées par les animateurs de laboratoires d’innovation, vise à explorer ce à quoi pourrait ressembler leur avenir s’ils portaient des ambitions plus fortes -dont la transition écologique, la justice sociale ou la résilience des territoires-, s’ils étaient plus coopératifs et s’ils adoptaient des stratégies et des méthodes de transformation plus rigoureuses.
Pour aller plus loin :
– Les enseignements de la Transfo, programme de création de laboratoires d’innovation porté par la 27e Région : https://www.la27eregion.fr/on-ouvre-le-code-source-de-la-transfo/
– Les laboratoires d’innovation publique portés par l’Etat français: https://www.modernisation.gouv.fr/diffuser-linnovation-publique/les-laboratoires-dinnovation-publique
– Le programme de création de laboratoires d’innovation de la fondation Bloomberg Philanthropies (US): https://www.la27eregion.fr/portraits-de-laboratoires-dinnovation-comment-fonctionnent-les-innovation-teams/
– Les laboratoirs d’innovation vues par le Nesta (GB) et l’UNDP : https://www.la27eregion.fr/labos-dinnovation-publique-a-quoi-ressemble-la-prochaine-etape/
– Les laboratoires d’innovation publique vus par le Commission européenne : https://www.la27eregion.fr/peut-on-repenser-les-politiques-europeennes-en-re-partant-de-leurs-usages/
– Une analyse sur les manques actuels et les perspectives pour demain : https://www.la27eregion.fr/lab-builders-why-how-and-some-thinking-about-the-next-generation-of-labs-programmes/