« S’il n’y a pas de moyen de juger une théorie autrement qu’en évaluant le nombre, la foi et la puissance vocale de ses partisans, alors la vérité se trouverait dans le pouvoir. » (Lakatos, cité par Chalmer, “Qu’est-ce que la science ?”, 1976)
La seconde rencontre des Labonautes s’est tenue les 10 et 11 mars à Oasis 21 et à Volumes, dans l’Est de Paris. La première journée visait à faire un peu mieux connaissance entre nous (en partageant un peu mieux nos trajectoires individuelles et nos références), à recontextualiser les laboratoires dans l’univers plus large de l’innovation publique, mais aussi à aborder le premier de nos trois grands axes de travail (cf le compte-rendu de la première session), à savoir la question de dépolitisation/repolitisation de l’action publique, avec l’aide de Cécile Robert, chercheuse à Sciences Po Lyon. La seconde journée visait à se confronter collectivement à une sélection de formes de transformations dans l’action publique (issues de programmes publics existants, en France et ailleurs) et venues d’ailleurs (issues de collectifs venus des luttes sociales, de mouvements coopératifs ou militants). Au terme de cette seconde journée, nous avons également commencé à produire des contenus, en particulier autour d’une réflexion sur le vocabulaire des laboratoires d’innovation publique.
Observer d’où l’on vient pour pouvoir créer une trajectoire en commun
Pour pouvoir dessiner où nous voulons aller, nous avons pris le temps de nous rappeler d’où nous venions. L’exercice de se raconter, ensemble, cette trajectoire, nous a donné les points de références majeurs qui ont marqué ou constitué les formes et les fonctionnements des laboratoires d’innovation publique, jusqu’à aujourd’hui. En bref :
- Se rappeler que les labos ne sont pas apparus ex-nihilo, mais sont nés dans un contexte et porteurs d’héritages qu’ils peuvent tout à la fois capitaliser et rejeter, comme autant de points d’appui, de cailloux dans la chaussure, de sources de transformation.
- Certaines lignes se chevauchent, plusieurs visions co-existent : New Public Management, modernisation…
- Et aujourd’hui, une myriade d’approches qui peuvent sembler parfois antinomiques : résultats vs processus, interne vs externe, public vs privé, … mais qui composent au final une mosaïque embrassant un très large spectre.
Resituer les laboratoires dans l’histoire de la modernisation de l’action publique en France fut une condition préalable pour nous donner une image, un paysage mental collectif de l’évolution des formes d’innovation publique, du lien avec le citoyen/usager. In fine, comment les labos se sont saisi des opportunités et des contraintes historiques.
Leur fonctionnement est déterminé par des facteurs multiples, à la fois “écologiques” dans le sens systémique du terme, comme les paradigmes ou les idéologies du moment, ainsi que les volontés, l’incarnation des valeurs à l’intérieur des labos, qui permettent, selon le parcours du labo, une certaine radicalité constructive à l’intérieur du système. Selon les contextes territoriaux, les processus d’innovation peuvent prendre des formes et des ambitions différentes.
Tout de même, se raconter ensemble cette trajectoire nous permet de reconstituer les cycles de vie des labos et leur lien avec leurs écosystèmes. Dans une lecture de compatibilité entre les formes d’innovation actuelles, ses racines et les défis à venir, des discussions et questionnements ont soulevé la part de la transversalité et des formes de coopération :
- Comment passer de la mosaïque à l’écosystème ?
- Comment construire les complémentarités coopératives ?
- Organiser les apports spécifiques en communs ?
- Qu’est-ce qui fait déjà commun ?
Le second jour, nous avons pris une porte d’entrée différente pour comprendre comment l’innovation se matérialise. Entre revues, extraits de rapports, infographies et une variété de productions, ces formes de l’innovation ont apporté des indices imagés de ce qui constitue l’innovation publique, et ses limites.
Des trajectoires des labos aux itinéraires d’innovateurs
Parallèlement à ce regard panoramique sur les trajectoires des labos, nous avons fait un zoom sur les trajectoires individuelles, à partir d’une matrice proposant un axe temporel et un axe transformation / stabilisation. À partir de cette trame, nous avons partagé les étapes clés, les ressources, les rencontres, les événements qui jalonnent et qui ont été des points de bascule dans nos parcours en tant qu’innovateurs, ceux qui nous ont fait avancer, bifurquer et ceux qui nous ont freiné. Tant d’éléments prometteurs, qui font la force de ce que nous sommes et nous motivent au quotidien, que nous voyons comme une ressource à explorer pour les mois à venir.
Nous avons observé que les moments de transformations étaient précédés de moments de tensions entre notre cadre de référence (nos valeurs, notre construction individuelle) et les situations qui n’étaient pas compatibles avec ce que nous sommes au fond de nous. Ce qui nous amène intrinsèquement à essayer de changer d’abord nous-mêmes, notre modèle mental, puis l’environnement qui nous entoure.
Nous avons donc décidé d’enfiler les lunettes de l’exploration des trajectoires individuelles et celles de labos dans les mois qui viennent, pour créer des boucles d’apprentissage des labos apprenants. A suivre !
Et si on passait par des sentiers peu connus ?
Lors de cette étape du parcours, notre guide, Cécile Robert, chercheuse à Sciences Po Lyon, nous a proposé un itinéraire alternatif, passant par des nouveaux sentiers qui explorent la dépolitisation de politiques publiques. Dans sa présentation –slides à retrouver en téléchargement-, la co-auteure de Confiner la démocratie – Les dépolitisations de l’action publique nous a proposé des éléments de définition de la Dépolitisation : “Des façons de faire et dire l’(in)action publique qui en contournent la mise en débat démocratique en tant que choix de société.”
Celle-ci sera une des lampes de poche à garder dans notre équipage.
Puis, Cécile Robert nous a expliqué les contextes privilégiés où elle existe, les mécanismes qui s’opèrent ainsi que les indices pour la repérer. Ce sont les procédés rhétoriques et les façons de faire qui sont révélateurs. Elle a partagé avec nous les enjeux à lutter contre la dépolitisation et à ré-politiser. Merci Cécile de nous avoir équipé de lampes de poche, des loupes et des bâtons !
Mieux équipés, nous sommes revenus sur notre sentier. À ce moment, nous avons fait un point d’étape pour se rendre compte des cheminements individuels. Place au débat et à la controverse sur la place des récits, la compatibilité entre la recherche et le militantisme..
Enfin, nous regardons la suite du sentier et observons les chemins qui s’ouvrent à nous : re-politiser, s’outiller, embrasser la transversalité.
Rapport d’étonnement :
La première session avait permis de s’accorder sur le cap. Cette seconde session a permis d’apprendre à mieux se connaître, de créer plus qu’un groupe : un équipage.
Les ateliers ont été l’occasion de partager pluralité, divergences, inspirations, de faire ressortir du commun qui stabilise, conforte et des points de tension à explorer pour continuer à se transformer.
Nous avons construit aussi notre premier cairn, dont les pierres représentent :
- Les références de notre mémoire collective sur comment les labos se sont construits, leur héritage et leurs défis.
- Ce qui nous constituent et fait sens dans ce processus
- Nos limites et les points de vigilance pour éviter de se perdre en cours de route
Notre mantra sera de suivre plus le processus que les objectifs, tout en observant l’étoile au loin qui nous guide : “Qu’est-ce qui nous transforme ? Quelles sont les conditions de l’émergence des nouveaux paradigmes ?”
Tout aussi que nous rappeler régulièrement ce qui nous rassemble, l’intention du programme, les livrables et ses usages me semble important pour garder un fil rouge. Se rappeler qu’au-delà de faire un état des lieux sur ce que sont les labs aujourd’hui, on cherche à les outiller pour qu’ils puissent dépasser l’étape de faire leurs preuves et à l’avenir mieux évaluer leurs impacts et consolider l’hypothèse de transformation qu’ils proposent en la posant plus clairement.
Les productions issues de cette session
A l’issu de cette session, les participants ont identifié des productions possibles, qui ont fait l’objet d’une journée de « sprint » à distance le 23 mars. Les productions comprennent :
- Sur les trajectoires individuelles : un carnet de bord des trajectoires individuelles (Aura Hernandez, in progress), une cartographie des itinéraires d’innovateurs (Jacky Foucher)
- Sur les trajectoires des laboratoires d’innovation : un outil d’autodiagnostic des trajectoires de labos (Mathias Béjean, Laura Douchet, in progress)
- Sur les enjeux de dépolitisation/repolitisation des labos : un outil d’auto-diagnostic « Quel lab êtes-vous ? », le quizz « Etes-vous un lab libre ? », et « Le visionneur », une grille d’évaluation de projets » (Nadège Guiraud, Benoît Vallauri, Stéphane Vincent, in progress)
- Sur le vocabulaire des labos : une cartographie des mots et controverses des labos (Mickaël Poiroux, Elise Despres, Léa Boissonade, Clara Herbert, Sylvine Bois-Choussy, in progress)